Les fake news de la Martienne
Drôle d'histoire, j'en suis le principal témoin, un témoin invisible, moi Paul Rozon. Un protagoniste plutôt, puisque j'ai peut-être interféré sur le destin de Valentina. Valentina Rozanof. Le nom de Rozanof ne vous dit rien ? Vous me surprenez Monsieur Raymond, vous qui habitez rue de reuilly Paris douzième, c'est bien ça ? Ah ça vous revient, ouais le colonel Rozanof le premier pilote français à avoir franchi le mur du son juste après la guerre, il avait fait un vol en piqué pour y arriver. J'ai dit du son, du son, faut dépasser la vitesse de propagation de... oui Patron remet un verre à ces gentlemen, c'est ma tournée, l'air est sec au café Saint Blaise. Je peux en parler de cette drôle d'histoire... non pour moi ce sera une mauresque avec beaucoup d'orgeat... il y a prescription maintenant. Ça fait plus de cinq ans, le voyage vers Mars, Le début d'une longue série de vols habités, une colonie devait s'y installer ad vitam æternam. Pendant un temps tout une bande d'allumés voulait se réfugier là-bas pour fuir le réchauffement éclectique, oui climatique, jeux de mot, je l'ai fait exprès, plaisanterie de bistrot, Patron un peu de glace s'il te plaît. Tu parles ça été le premier et le dernier voyage, on en parle même plus. Mais non Monsieur Raymond on va pas aller sur une autre planète, on est condamnés à rôtir sur celle là comme une vulgaire théorie de merguez.
La Valentina je l'ai connue au Lycée Hélène Boucher, tiens encore une femme de l'air, On l'appelait Bang Bang, tu sais pourquoi Ahmed on l'appelait comme cela. Exact exact Ahmed à cause des deux coups de canon que fait un zinc qui se prend le chou dans le mur du son. On peut pas dire qu'elle le prenait bien, elle parlait peu et cerise sur le supplice elle était loin devant nous en classe c'était une surdouée de chez surdoué, oui... moi aussi Monsieur Raymond cette expression m'agace et puis finalement on est toujours rattrapés par ce genre de poncif coincé entre le tic de langage et la faiblesse mentale. Par le plus grand des hasards j'étais souvent assis à côté d'elle, rapport au classement alphabétique. Avec moi elle se déridait un tout petit peu et me laissait même copier sur elle pour les contrôles de math. J'en prenais un quart c'était suffisant pour que ma note approche de la moyenne. J'avais même été une fois chez elle pour préparer un exposé, j'avais rencontré sa mère une femme chaleureuse et très attachante, tout le contraire de son robot de fille. A la fin de l'année scolaire elle a disparu et rejoint un établissement pour grosses cervelles ? Je ne l'ai pas revue ou plus exactement je l'ai croisée vingt ans après sur le boulevard Saint Germain à l'arrêt de bus Odéon. C'était une femme magnifique très sûre d'elle. Valentina ? C'est bien vous...toi.. elle me laissait balbutier les quelques mots qui me venaient, elle a toute suite pris le contrôle de la conversation. On s'est installés au Starbusk à côté du ciné où il jouait 2001 odyssée de l'espace entre parenthèse j'ai jamais réussi à voir ce nanar jusqu'au bout, je sortais une fois mon seau de pop-corn 2vidé. Non Patron range tes cacahuètes tu sais bien que j'ai un gros bourrelet de graisse à perdre. Bon la Valentina elle m'a aspiré la cervelle par le nez, j'ai pas dit un mot, j'étais dans un scaphandre en peau d'éléphant. Elle parlait lentement, trop lentement. Dans deux mois elle s'envolerait pour Mars avec quatorze autres membres d'équipage, un an et demi aller-retour et séjour sur place. On l'avait choisie car c'était la meilleure spécialiste mondiale de gestion du stress. Tout le monde avait entendu parlé de ce prochain voyage interplanétaire, un truc de fous, trois fusées au départ de la terre. Dans l'espace proche quatre vaisseaux seraient assemblés à partir du matos contenu dans les trois modules satellisés et fouette cocher direction Mars. Elle me parlait des scénarios de conjonction et d'opposition, si j'ai bien compris suivant la position de la planète rouge le voyage pouvait durée plus ou moins longtemps. Je devais avoir un regard de panda car elle répétait tout deux fois. Elle était intervenue dans les situations les plus extrêmes : des mineurs chiliens coincés sous-terre, un sous-marin nucléaire qui avait ses vapeurs, les combattants kurdes coincés entre Daech et les turques. Tu te rends compte Patron ? Toi ton plus grand stress c'est quand t'es à cours de Ricard ou quand un client te demande de lui faire crédit. Côté études la Valentina elle avait écumé les universités les plus top Harvard Stangetz enfin plein. Quoi Ahmed Stan Getz c'est pas une université mais un jazzman ? Tu y connais quoi toi ? Ah t'a été à Stanford. Comme homme de ménage ou terroriste ? Te fâche pas Ahmed je plaisante, ça va Patron je reconnais c'est pas drôle. C'est vrai Ahmed t'as fait des études aux States ? Ben dit donc moi j'ai jamais dépassé la terminale. Patron remet une mauresque à Ahmed pour me faire pardonner. Non Monsieur je suis pas raciste, pas malin mais pas raciste parfois la différence est mince c'est vrai. Pourquoi cette femme magnifique me disait tout cela, pourquoi perdait-elle son temps avec un pousse-crayon transpirant dans une petite mutuelle. Voilà ce qu'elle attendait de moi, elle avait besoin d'un quidam de ma trempe. La suite à demain les amis je crois que j'ai un peu abusé du sirop d’orgeat, paraît qu'il y a du poison dans les amandes, du cyanure pour sûr.
Cinq ans plutôt.
Ma télé explique les différentes phases de la première étape de la conquête de Mars. Les petits bonhommes qui s'agitent derrière l'écran parlent fort comme il sied à des conquistadors. Trois bases de lancement Gourou, cap Canaveral, Baïkonour. Trois fusées emmènent le nécessaire pour assembler en orbite terrestre quatre vaisseaux. Mille tonnes en tout éructe le commentateur.
« Un vaisseau destiné au transfert Terre-Mars et retour de l'équipage ; un vaisseau équipé d'un étage de descente pour atteindre le sol martien, qui sert d'habitat à l'équipage sur Mars ; un vaisseau et un lanceur, équipés d'un étage de descente pour atteindre le sol martien, qui permet de remonter l'équipage du sol jusqu'en orbite martienne ; un petit vaisseau avec lequel l'équipage, arrivé à proximité de la Terre revient sur le sol terrestre. »
Marie simule une indifférence totale à cette aventure et surtout à ceux qui vont la vivre. Elle téléphone à son amie Magali et essaye de transformer en drame du siècle une banale affaire de voisinage. Elle parle fort, couvre les sons qui s'échappent du poste cathodique. Est-ce que tu sais que le vieux salaud d'en face il me mate toute la journée, il me suit dans la rue et toi tu fais rien t'es devant cette télé depuis des heures. Je lui dit qu'aujourd'hui le vieux salaud doit mater les fusées à la télé et que ça lui fait des vacances.
Les astronautes viennent d'apparaître sur l'écran, ils sont cinq par fusées repartis sur les bases de lancement. Ils ont des airs de condamnés à mort, ils reviendront au plutôt dans un un an et demi, si l’apesanteur, le stress, le confinement dans une boite de sardines, la cohabitation permanente, la maladie ne les transforment en zombies aux yeux rouges et à la peau verte. Le chef de la mission, l'américain Patrick Glen fait une déclaration apprise par cœur qu'il termine par un rictus en guise de sourire. Marie trimbale sa grande carcasse voûtée devant moi avec la régularité d'un pendule. C'est le tour de Valentina incroyablement précise et décontractée, elle répond aux questions avec une spontanéité troublante et nous gratifie d'un vrai sourire. Le commentateur rappelle ses exploits en matière de gestion de crises majeure. Elle est à la hauteur la bougresse ! Ma future ex-copine enrage et déverse un conteneur d'insultes sarcastiques à son encontre. Magali avec qui je vis maintenant tenait Marie pour un être toxique qui inventait des situations inextricables pour prendre ses proies dans sa toile et leur faire perdre tout libre arbitre. Du moins c'est ce qu'elle dit maintenant, peut être un peu de rancœur à moins que ce ne se soit Magali l'être toxique et manipulateur.
Le reportage télé continue il ne s’achèvera qu’après le décollage des fusées soit dans une bonne douzaine d'heures. Le commentateur explique au bon peuple de la terre la complexité des opérations.
« Le déroulement d'une mission habitée vers Mars comprend les étapes suivantes : les fusées sont lancées en orbite basse terrestre. Un arrêt en orbite basse est effectué pour optimiser la trajectoire vers Mars et assembler les vaisseaux lancés en pièces détachées pour des raisons liées aux capacités des lanceurs ; le vaisseau est injecté sur une trajectoire vers Mars : on allume brièvement les moteurs de manière à quitter le puits de gravité terrestre. Depuis une orbite basse terrestre, il faut au minimum accélérer le vaisseau de 3,8 km/s pour réduire la durée du trajet on peut donner plus de vitesse au vaisseau mais il faut pouvoir décélérer à l'arrivée soit : 3,22 km/s pour atteindre la vitesse de libération 0,6 km/s supplémentaire pour parvenir jusqu'au point de transfert entre la Terre et Mars ; le trajet Terre-Mars est effectué sur l'inertie acquise avec éventuellement des corrections d'orientation qui consomment une quantité de carburant non significative. Le vaisseau qui assure la trajectoire interplanétaire Terre-Mars aller-retour est laissé en orbite par l'équipage qui utilise un autre vaisseau pour descendre sur Mars ; le vaisseau se pose sur Mars ce qui nécessite de faire chuter sa vitesse de 4,1 km/s en utilisant si possible uniquement des techniques passives exploitant la présence d'une atmosphère martienne » et cela continue sans cesse on interviewe des spécialistes dans les domaines les plus divers... et je m'endors. Marie vocifère au téléphone avec son ami Magali.
Cinq ans plus tard.
J'aime bien le square Antoine Blondin, un petit îlot de verdure derrière la rue de Bagnolet, les uns pique-niquent sur de minuscules tapis de gazon d'autres s'initient à la permaculture avec des chefs bobo jardiniers, moi je rêve sur un banc en évitant les déjections des pigeons car mon nouveau travail de représentant en sel me laisse beaucoup de loisirs et de petits plaisirs,. On se retrouvent entre copains dans ce jardin puis en fin d'après-midi on descend la rue Saint Blaise de l'église Saint Germain de Charonne jusqu'au café du même nom pour prendre une petite douceur. La rue Saint Blaise a deux visages celui d'un vieux village rénové, rue pavée bordée de galeries et de restaurants à l'ancienne, et plus bas un big ensemble HLM couronné de trois tours gigantesques. La plus grosse concentration d'habitants de toute l'Europe d'après le journal Le Monde.
Aujourd'hui on est quatre sur le banc : Ahmed un universitaire désœuvré, Monsieur Raymond un magistrat à la retraite qu'on a jamais pu tutoyer et Jean Gérard photographe de métier et saxophoniste. Les trois individus me regardent agacés comme si j'avais volé un os à moelle à un chien errant, ils font silence. Je sais ce qu'ils attendent de moi alors j'abrège leur souffrance. Je poursuis mon histoire interrompue la veille. Alors voilà... je laisse passer quelques secondes Valentina m'a demandé si j'acceptais d'être son correspondant épistolaire pendant la durée de l'expédition. Sa mission impliquait qu'elle soit absolument sans état d'âme pour s'assurer de la bonne santé malade de ses quatorze équipiers. Elle devait détecter impitoyablement tout flottement psychologique des dix hommes et quatre femmes confinés dans un espace de boite à chaussures et y remédier grâce à des techniques qu'elle avait mises au point et qui s'étaient toujours révélées efficaces. Cependant Valentina avait besoin d'une soupape de sécurité, tu vois ce que je veux dire Ahmed, faut que la pression s'échappent quand elle trop forte, c'est exact Jean Gérard, fallait qu'à un moment donné elle puisse dégueuler sur mes pompes. Je devais également faire le go-between entre elle et sa mère. Chaque cosmonaute avaient le droit d'envoyer des messages à un seul destinataire. Les messages étaient codés pour que n'importe qui ne les lisent, seul le Centre de contrôle de Huston se réservait le droit de les lires en cas de besoin.
Les premiers jours je n'ai rien reçu, l'équipage devait assembler les modules pour construire le vaisseau de transport. Le périple aller devait durée 180 jours, elle avait bien le temps de péter un fusible. Ce ne fut qu'au bout d'une semaine que je reçu les premiers mails, elle se contentait de parler de ses équipiers, tous des gens remarquables. Quelques réserves cependant pour le bellâtre français, un va-de-la-gueule qui s'était mis en scène comme un vieux cabot quand il avait occupé trois mois durant la station internationale en orbite terrestre. Je ne savais pas quoi répondre, j'accusais réception de ses messages et je lui parlais du temps qu'il faisait. C'est vrai Monsieur Raymond c'était pitoyable. Marie ricanait tout son saoul, mais de fait elle était soulagée, elle avait imaginé que mes relations avec la cosmonaute n'étaient pas aussi pures que je le prétendais. Elle me proposa de prendre le relais et de tenir la plume, entre femmes on devrait pouvoir se dire des choses un peu moins banales. Je fus tenté d'accepter mais je ne tombais pas dans ce piège grossier.
C'est l'heure de quitter le jardin Antoine Blondin et de laisser la pesanteur nous guider sur la légère descente qui nous conduira au café Saint Blaise où notre table habituelle ne doit pas manquer de nous attendre. J'ai déjà le goût du Picon bière dans la gorge. On aurait pu s'arrêter au Casque d'or mais le bistro est fermé pour travaux. Monsieur Raymond ne peut s'empêcher doctement de nous prévenir qu'on est en plein territoire Apaches et que Manda Régiani nous a à l’œil. Continuez votre histoire Paul, je faisais juste un rappel historique. Où en étais-je... alors les amis, coup de tonnerre, en rentrant du travail Marie m'annonce qu'elle a reçu la visite deux agents de la DGS I ou E je sais plus lui annonçant qu'on avait trouvé la mère de Valentina gisant dans une mare de sang, tuée d'un coup de pistolet. Secret défense on ne doit rien dire à personne si on cause ils nous pendent par le pouce tout nus barbouillés de miel au milieu d'un nid de frelons asiatiques. Les barbouzes nous affranchissent because notre lien privilégié avec la cosmonaute et feu sa mère. Interdiction de l'avertir de ce décès après une semaine de navigation dans l'espace, les conséquences seraient inimaginables. Nous devions continuer nos échanges épistolaires et si nécessité on nous dicterait ce qu'il faudra dire. En effet elle pourrait s'inquiéter du silence de sa génitrice. Cinq ans après le secret a toujours été gardé à preuve vous ignoriez complètement cet événement. Mes amis dodelinent de la tête en cadence.
Ne bois pas tant de Picon bière me sermonne Jean Gérard c'est plein de sucre ces trucs ça va te boucher les artères, sans doute, je réponds toujours sans doute quand je veux éviter un sujet, c'est très efficace. A-t-on appris qui a attenté à la vie de la mère ? Non Ahmed, à ce moment là je n'avais aucune information sur le déroulement de l'enquête c'était top secret, rien n'a filtré dans la presse. Total black-out conclut Ahmed. Comme je vous l'ai dit Madame Rozanof était l'exact contraire de sa fille, c'était une femme affable, chaleureuse. J'ai cru comprendre qu'elle avait une vie sociale très active d'une part dans des associations et aussi avec ses voisins. La dernière fois que je l'ai vue il y avait chez elle deux de ses amies qui semblaient beaucoup l'apprécier. C'était quelques jours avant le décollage.
Quoique il en soit le vaisseau interplanétaire assemblé, fouette cocher, il était en route pour six mois de croisière, le temps de faire une tonne de mots fléchés ou de revoir plusieurs fois les trois mille épisodes de plus belle la vie. Après quelques jours Valentina m'expliqua sur une courte missive qu'un membre de l'équipage, un danois je crois me souvenir, avait fait une crise de panique très violente elle avait dû utiliser les techniques les plus sophistiquées associées à quelques cachetons pour remettre le vaillant viking dans les clous. Elle me demanda des nouvelles de sa mère, je scribouillais une réponse passe partout. Pour changer de sujet je demandai si elle n'avait pas envie de me dire des choses sur elle, entre le moment où l'on s'était quittés au lycée et notre nouvelle rencontre. A ma plus grande stupéfaction elle accepta et alors je crus lire la vie d'une Emma Bovary de l'espace. Quoi, c'est bien l'histoire d'une gonzesse qui s'ennuie en Normandie, mais tout le monde s'ennuie en Normandie, tu exagères, Jean Gérard, elle a des amants mais elle les saoule avec ses jérémiades romantiques, ils la quittent, elle se suicide, point barre. Patron remet nous la même chose. Quand je dis madame Bovary ce n'est pas une conformité point par point mais il y a une corrélation douce comme disent les mathématiciens. Les mathématiciens ne disent pas ça prétend Ahmed, peut-être mais l'idée me plaît. Je fais lire à mes amis un mail que Valentina m'avait écrit à l'époque, le plus long de nos échanges.
« j'ai beaucoup souffert au lycée, se faire appeler Bang Bang à longueur d'année est lourd à supporter. Certains ignoraient même la signification de ce surnom et imaginaient les raisons les plus sordides.. Tu étais le seul à m'appeler par mon nom, les instants que je passais à tes côtés dans une salle de classe était un peu de répit. Ma deuxième souffrance fut mon isolement dû à mon statut de petit génie toujours en tête de classement. Se sauver de ce cauchemar a été un bonheur. Cependant en fac je me liais peu avec les autres tellement traumatisée par les années lycées. Je n'étais nullement maltraitée mais très seule, ce fut pareil aux États Unis à Palo Alto et à Stanford tout le monde était courtois, courtois seulement. Mon attitude désespérait les hommes, je n'avais pas d'amis seulement des relations d'étude. Même dans les laboratoires de recherche où les équipes sont plus réduites je n'arrivais pas à me détendre et à me montrer amicale.
Je remarquai cependant qu'en dehors de l'université dans mon quartier de Union Square à San Francisco les gens me parlaient volontiers, ce quartier n'avait pas bonne presse car très près de Tenderloin déconseillé aux touristes. Je finis par accepter l'invitation de l'un de mes voisins et ce fut le sésame à une vie de folie, je passai d'homme en homme cherchant l'amour fou et éternel. Mon sentimentalisme exacerbé écartait rapidement tous mes amants, j'étais heureuse et terriblement malheureuse...Cela dura jusqu'à mon retour en France, mes travaux universitaires n'avaient pâti en rien de ma nouvelle vie, au contraire même je me jetai dans le travail pour contrebalancer mes désordres affectifs. »
Je vous fais pas lire la suite, Valentina de retour en France réussit l'exploit d'être un robot le jour et une Emma Bovary la nuit pas mal, non Monsieur Raymond ? Oui pour moi c'était un peu pareil embraya le magistrat le jour j'étais magistrat et la nuit... j'étais magistrat. On se regarda interrogatifs, faut dire renchérit Jean Gérard que la suppression de la peine de mort a du affadir considérablement le métier de juge n'est-il pas ?
Ce soir c'est vendredi Magali vient me chercher, je monte dans sa voiture électrique direction Ivry 30, rue Saint Just, nous allons au concert mensuel de Jazz Ivry animé par Dan Vernhettes trompettiste de son état, au programme Nitcho Reinhardt trio jazz manouche vous l'aurez deviné. Endroit chaleureux où se retrouvent les habitués du cru, nous sommes des pièces rapportées parisiennes il est vrai mais depuis le temps on fait partie de la famille. Magali déteste la musique manouche surtout la partie rythmique qui lui fait penser à un marathonien à bout de souffle, c'est pas complètement faux. On boit du punch et du Gévéor vieux cépage le velours de l'estomac. Les musiciens aiment ce lieu, une salle de patronage, je sais pas pourquoi c'est comme ça. Ce week-end on va à Barbizon en forêt de Fontainebleau, on marche le matin, à midi on mange une salade ou de la charcutaille à la guinguette La caverne des brigands, une promenade digestive et on rentre de bonne heure avant le rush automobile. Dans la voiture du retour j'imagine passer six mois dans un habitacle guère plus grand que la Zoé de Magali. Valentina avait des nerfs d'acier, lors d'une précédente mission elle était descendue dans une mine chilienne où vingt mineurs étaient bloqués par 688 mètres dans le puits de San José, à Copiapo. Elle leur avait permis de tenir le coup mentalement, elle était sortie la dernière. On l'avait prise pour une sorcière tant son comportement avait paru sur-humain à ces vieux de la vieille habitués aux pires conditions. Je ne sais pas si j'ai envie de raconter la suite de l'aventure de miss Bang Bang. Pourtant faudra bien, je dois le faire. Mes amis décideront de ce qu'il faut faire, dire ou ne pas dire.
Ahmed a eu le temps de réfléchir pendant le week-end, il n'a que cela à faire, bien que maître de conférence à Jussieu je ne l'ai jamais entendu dire un seul mot sur son travail. On est attablé place de la Réunion au bistrot sans nom, c'est son nom, un repère de jeunes qui tapent sur leur ordinateur en se gardant bien de parler à leurs voisins. Il est encore tôt, petit crème et croissants rassis au menu. Le berbère s'étonne que je ne me sois pas intéressé à la mère de Valentina, son meurtre avait-il un rapport avec l'expédition martienne ? Je lui confirme que j'étais allé roder à Nogent près de son pavillon. J'avais une trouille de tous les diables de me faire repérer par la police ou pire encore par les tueurs. Je me suis engagé dans la rue au rythme d'un type pressé en guignant du coin de l’œil la maison sans m’arrêter, tout était calme. En face de moi une femme avançait en me souriant, je reconnu une des deux voisines que j'avais vues lors de ma seule visite à la mère de Valentina. Elle me demanda si je venais voir Mariana. Qui est Mariana ? Ben voyons mon grand c'est la mère de Valentina, c'est votre petite amie Valentina? Mariana est partie depuis une quinzaine elle est en Serbie au chevet de sa tante m'a-t-on dit. Ça tient pas debout Paul qu'est ce que tu as fait ou dit. Rien j'ai continué ma route, soulagé, j'ai repris le RER. Ça me rassure, si tes potes sont dans la merde on sait qu'on pourra compter sur toi... Pédale douce Ahmed côté superman t'as encore du chemin à faire pour avoir ton diplôme. Jean Gérard et Monsieur Raymond font une apparition fort opportune pour briser là un différent regrettable. Bien entendu ils souhaitent que je continue mon récit interplanétaire. Après les confidences de Valentina sur sa double vie je crus utile de mon côté de m'épancher quelque peu et de lui raconter ma vie. Mes amis me regardent perplexes en se demandant ce que j'avais bien pu raconté comme si ma vie avait été un vide sidéral. Mais là n'est pas le sujet, de fait mon histoire ne suscita aucun commentaire à la cosmonaute.
Quand on attend personne il est rare que les coups de sonnette annoncent une visite agréable, le temps n'est plus où on visitait ses amis sans les prévenir, maintenant on téléphone, on essaie de deviner au son de la voix du correspondant si notre venue l'ennuie ou le ravit. En ouvrant la porte deux sbires qui n 'avaient rien de vendeurs d'encyclopédies, forcèrent l'entrée. Marie derrière mon dos émit un plaintif encore vous ? Les nouvelles étaient mauvaises. A partir d'un certain âge les nouvelles sont toujours mauvaises commente Jean Gérard. Ils nous posèrent dix fois la même question avec plein de variantes, comment avions été mis en contact avec Valentina juste avant son départ. Marie insista sur le fait qu'elle était hors jeu et pas concernée. J'expliquai et ré-expliquait aux gaziers l'exacte vérité avec une foule de détails qui semblaient les agacer. Juste une vérification éructa l'un deux on a jamais douté que vous étiez des quidams très quidam. On a jamais cru que vous étiez le tueur engagé par la Rozanof pour tuer sa mère. Vous êtes au milieu de l'affaire malgré vous, on est obligés de vous affranchir d'un minimum d'éléments pour que vous puissiez nous aider. Il faudra faire exactement ce qu'on vous dit, ok ? Et que doit-on faire ? Rien, continuez à correspondre avec Rozanof, que du banal que du banal, interrogez-la sur son quotidien, faites là parler enfin écrire. On lit votre correspondance on essaiera de décrypter, et, surtout rien sur sa mère, nothing, nada, nichts. Ok à bientôt les polyglottes je refermai la porte, effondré. Marie hurlait comment avais-je pus la plonger dans un tel pot de pus, tout cela à cause d'une martienne qui faisait la pute à Los Angeles et qui s'envoyait en l'air avec une dizaine d'astronautes, non San Francisco rectifiai-je. Mes amis malgré l'heure matinale commandèrent une pression pour encaisser le choc ou tout simplement parce qu'ils avaient envie d'une mousse.
C'est vrai que le sel se vend tout seul, moi commercial chez Cerebos je suis plutôt un preneur de commandes cela m'occupe une semaine par mois environ. Néanmoins il faut parfois que je me déplace chez certains gros clients pour négocier le prix annuel. C'est ce que j'avais dû faire quelques jours après la visite des deux agents spéciaux et sûrement spécieux. Direction Nice je devais y rester deux jours, cela tombait bien j'adorai cette ville. Au retour j'eus un pressentiment, l'attitude de Marie avait été étrange avant mon départ, elle ne parlait pas et se montrait nerveuse. Je ne fus pas déçu en effet, ma future ex-copine avait tout simplement écrit à Valentina au sujet de la mort de sa mère. Elle sous-entendait lourdement que ce ne devait pas être une surprise puisqu'elle l'avait sûrement tuée ou fait tuer. Suivaient une envolé d'injures des plus fleuries je dois le reconnaître.
Je reçu assez rapidement une réponse inquiète de Valentina qui avait compris que je n'étais pas le rédacteur de ce mail mais s'inquiétait que mon ordinateur soit en libre accès. Je lui expliquai comment Marie avait pu déjouer ma vigilance. Je dû lui confirmer les soupçons qui pesaient sur elle, je n'avais que peu de détails sur les circonstances du crime les policiers étant restés peu diserts. Le Centre de commandement de Huston avait averti de la situation Patrick Glen , le chef de bord. Valentina lui assura être innocente, mais m'avoua qu'elle avait gardé son ton professionnel et avait débité ses dénégations d'une voix froide et métallique.
Valentina je sais que tu n'as rien à voir dans cette tragédie, tu n'as aucun mobile, je t'ai vue avec ta mère, vos relations étaient tendres et apaisés. Que puis-je faire pour t'aider ? As-tu des soupçons ta mère avait-elle des ennemis, je me demande bien pourquoi elle en aurait me dit-elle. Comment cela se passe-t-il à bord du vaisseau tes coéquipiers sont-ils au courant... je continuais mon mail en lui faisant part de la presse internationale, c'était l'euphorie, les héros de la plus grande aventure de tous les temps, groupés comme un seul homme tendus vers la réussite de l'entreprise martienne. Visiblement rien n'avait filtré, le seul maillon faible c'était Marie. Je m'attendais à voir débarquer les deux Dupont un rien furibards embarquer ma compagne dans une geôle humide du Boulevard Davout.
En bon magistrat Monsieur Raymond voulait en savoir plus sur les investigations policières et judiciaires, je pense que l'affaire a été noyautée par les services secrets, eux seuls étaient au courant. Mais comment ont-ils eu connaissance du meurtre, normalement le cadavre aurait dû être découvert par le facteur ou par une voisine, seule explication conclut Ahmed c'est eux qu'on fait le coup. Faut voir conclut Jean Gérard en commandant un Paris beurre avec des cornichons.
Valentina m'apprit que le chef de bord avait parlé à l'équipage des soupçons qui pesait sur elle, il pensait que le secret serait tôt ou tard éventé et qu'il fallait mieux prévenir. L'ambiance se dégrada à bord de façon imprévisible, deux camps s'opposaient farouchement. Une solution devait être trouvée rapidement.
Ne continue pas l'histoire sans moi objecte Jean Gérard, cet après-midi je vais faire un reportage photos sur l'Ensemble inter-contemporain, je ne sais pas combien de temps ça va me prendre. Que ça ne nous empêche pas d'évaluer la situation. Faisons l'hypothèse qu'une partie de l'équipage conservait sa confiance à Valentina parce qu'elle les aidait moralement dans leur quotidien alors que l'autre partie ressentait un profond malaise à vivre à côté d'une femme sur laquelle pesaient de graves soupçons. C'était l'incertitude qui gangrenait l'atmosphère à bord du vaisseau.
Et Marie dans tout ça ? Bonne question Ahmed, en fait, comme disent les jeunes, sa jalousie lui avait joué un tour de cochon, je n'avais plus de nouvelles depuis son mail à Valentina. Je ne voulus pas la chercher là où elle risquait d'être pour ne pas faciliter la vie de ceux qui la chassaient peut-être flics ou agents divers et variés. Je n'excluais pas à ce moment là qu'elle avait pu être dissoute dans une baignoire pleine d'acide chlorhydrique fumant.
Notre petite troupe est de nouveau au complet au bistrot le Magnolia, place des grès. Jean Gérard nous montre les planches contact de son travail de la veille. Beau travail dommage que les musiciens soient si laids. Alors on t'écoute...saison 3 épisode 25. Il se passa une petite semaine ou un peu plus et je reçus un mail de Valentina purement stupéfiant :
« La décision a été un des moments les plus pénibles de ma vie. En concertation avec Patrick Glen je décidai d'avouer à l'équipage que j'étais bien la meurtrière de ma mère. Seule façon de ressouder les deux clans antagonistes. Il me fallut trouver un mobile crédible qui ne ferait pas de moi un être cruel et vil. J'avais mis fin aux jours de ma mère à sa demande, atteinte d'une maladie incurable, elle savait qu'elle ne serait plus là à mon retour de mission. Elle ne supporterait pas ce long no man's land de solitude... » Le Centre de contrôle de Huston avait entériné cette solution après moult hésitations.
Les mails suivants ne m'apprirent pas grand chose, une certaine sérénité semblait régner à bord du gros suppositoire interplanétaire. Les voyageurs étaient à mi-chemin, ils devaient préparer et contrôler une foule de process. Je décidai d'envoyer à Valentina un mail concernant la disparition de Marie, j'espérai à tord qu'elle puisse interférer auprès du Centre pour mettre les pouces et oublier le dérapage de ma futur-ex copine. J'obtins une réponse cinglante et glaciale, chacun devait assumer ses actes, elle était trop occupée pour se laisser distraire par le superfétatoire. J'avoue que ce discours m'avait fort déplu, après tout c'était elle qui était venue me chercher et me gâchait lourdement l'existence.
Figurez-vous les amis que quelques jours avant le terme du voyage je reçus un nouveau message de Valentina qui me rendit perplexe comme un verre de Duralex tout mou.
« Paul, la meilleure nouvelle depuis le départ vient d'arriver du Centre, la police française vient d'arrêter le véritable coupable de l'assassinat de ma mère, il s'agit d'une femme je crois. Patrick Glen a annoncé ce matin la nouvelle à l'équipage en expliquant pourquoi j'avais revendiqué le crime pour la réussite de notre entreprise. En tête à tête Patrick m'a appris qu'au Centre des débats féroces avaient eu lieu, ils avaient envisagé de me jeter dans le vide sidéral, Glen dit que ça s'est joué à une voix. Les faucons du Centre de Huston ne supportent pas l'aléatoire, ils veulent tout maîtriser, ils détestent les initiatives qu'ils ne contrôlent pas »
Ils ont mis le crime sur le dos de Marie hurle Monsieur Raymond qui se souvenait de l'adrénaline du prétoire, quelle est cette mystérieuse inconnue qui aurait fomenté un tel crime ? Cette mystérieuse inconnue s'était la voisine de la mère de Valentina, une partie de scrabble qui avait mal tourné, en fait tout s'est joué sur le mot chevrillard, l'une disait qu'on dit chevillard et l'autre rajoutait un r. Comme elle n'avait pas de dictionnaire la voisine est allée chercher le pistolet d'ordonnance de son mari, juste pour faire peur, mais il restait une balle dans le canon, voilà ce que m'ont dit les policiers plus d'un an après. Ahmed nous rappelle à point nommé qu'il s'est toujours méfié du scrabble. Alors où était passé Marie, Monsieur Raymond avait toujours eu un faible pour elle. Chez Magali, elle se cachait dans sa cave, précaution bien inutile. Personne ne la cherchait même pas moi elle était dans le néant de cette histoire pour tomber dans le néant de l'Histoire.
Je reçu l'avant dernier mail de Valentina alors que la base venait d'être installée sur Mars, notre collaboration devait s'arrêter là, sans explication. Elle ajouta simplement qu'elle me remerciait de l'attention que je lui avais accordée. J'étais finalement soulagé, la Valentina avait fini par m'user le métabolisme basal.
Alors l'histoire est finie, circulez il a plus rien à voir. Pas tout à fait Ahmed j'ai parlé de l'avant dernier mail. Fais vite Paul dans une heure je dois être à Jussieu pour donner mon premier cours, je suis fébrile comme un martien voyant débarquer des terriens prêts à foutre chez lui le même bordel qu'ils ont mis sur terre.
Le dernier mail de Valentina a été envoyé lors du voyage retour :
« Je ne comprends pas ce qui se passe cette histoire de meurtre a laissé de profonds dysfonctionnements dans la manière de penser du groupe. Les deux camps se sont reformés pour n'en faire plus qu'un cette fois, ils disent tous que mon innocence est une manipulation. C'est le français vindicatif et mesquin qui mène la révolte, il a de longs entretiens privé avec le Centre. Le séjour sur Mars a été émaillé de conflits de personnes, je ne peux plus exercer mon travail de gestion du stress. On a plus confiance en moi. Les choses empirent chaque jour. Que dois-je faire Paul ?... »
Ce que tu dois faire c'est te démerder, mon ange. Je ne peux pas donner de conseils à une super héroïne moi un ridicule avorton. Vous avez vraiment répondu cela ? les yeux inquisiteurs de Monsieur Raymond me transpercent la cornée. Enfin...c'était le sens général de ma réponse, je balbutie...
Bien entendu je n'ai plus eu de nouvelles de l'espace. Ahmed veut que j'arrive rapidement à la conclusion. Quand elle est revenue est-ce que tu l'a revue, vous avez parlé ? Heu ! En fait elle n'est jamais revenue...Ils étaient seulement quatorze à remettre les pieds sur terre...