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les mauvaises nouvelles de Peter Chafy
10 juillet 2020

Roman policé

 

Roman policé

« Tu ne pourras jamais écrire, c’est-à-dire sortir de toi-même et faire le tour du propriétaire. Un mort n'écrit pas, ne parle, pas n'aime pas ».

Miranda a claqué la porte, elle est allée au marché acheter des poireaux des pommes de terre et des carottes pour la soupe du soir.

Je suis resté seul devant la grande glace qui ne se donne même plus la peine de me réfléchir.

Je lui avais fait part de mon projet d'écrire quelque chose en rapport avec la littérature, en fait n'importe quoi pourvu que suffisamment de mots s'entassent pour remplir une centaine de feuillets.

Et puis jouer à l'écrivain : « dis moi franchement qu'est ce que tu en penses, toi mon plus vieil ami ? » Le type bafouille un commentaire comme quoi la police de caractères est peut être un peu petite, il manque beaucoup d'accents circonflexes, le fond la forme tout se mêle, il devra relire dit-il en s'enfuyant. Ce type joue à l'écrit feint me dis-je nullement atteint par son coup de poignard, je ne suis pas prêt de le revoir, il ne croisera ma route que lorsque j'aurais le prix Micheline.

Miranda ne s'appelle pas Miranda mais elle ressemble à l'avocate de la série Sexe and the city, (un peu plus petite un peu plus large) distante, redoutable, imprévisible. Quand elle claque la porte en deux temps de cette façon si particulière et inimitable je suis persuadé à chaque fois qu'elle ne reviendra pas. D'ailleurs quand elle réapparaît je ne suis pas sûr qu'elle soit tout à fait revenue. Toutes les histoires d'amour ont un début un milieu et mille fins. Nous en sommes à choisir une fin à la nôtre mais il y en a trop et ça prend du temps pour choisir.

« Écrire c'est raconté ce que l'on a fait de sa vie, de ce qu'on voudrait en faire ou de ce que que les autres font de la leur » Cette phrase de Miranda souvent répétée comme un tir de barrage à mon projet est aussi la sentence de mort de ma créativité.

Écrire n'est pas une vocation ou une impérieuse nécessité. C'est une des issues à mon ennui. J'avais écrit un polar il y a une dizaine d'années qu'une petite maison édition d'Arras, Littera, avait bien voulu publier. Le patron était dans la communication et il dépensait son argent en publiant des bras cassés de mon espèce. Il diffusait dans toutes les bibliothèques de la région et curieusement dans les prisons du coin également. Assedic et vieilles bretelles était le titre, jeu de mots qui ne veut plus rien dire de nos jours sachant que Pôle emploi a mangé Assedic. J’avais écrit ce bouquin avec un réel entrain puisque le véritable propos était un solde de tout compte avec d'anciens amis disons d'anciens camarades si vous saisissez la nuance. Trois mille lecteurs tout au plus avaient eu le livre entre les mains, j'ignore ce qu'ils en ont fait. Ce bouquin était comme un furoncle plein de pus une fois éclaté entre deux ongles à la propreté douteuse, il ne reste rien. Je n'ai plus eu de furoncle d'aucune sorte depuis, et, l'inspiration m'a bel et bien quitté.

Ensuite quelques tentatives : des nouvelles aux éditions Terre de Brume, puis un truc à compte d'auteur et plus rien, le petit sac en papier s'était définitivement dégonflé. Miranda a une théorie très élaborée sur mon assèchement littéraire. Elle me compare à un pruneau d'Agen lentement réduit et vidé de son jus. Sec, sec, sec.

Notre histoire avait commencé comme un big bang romantique et révolutionnaire dans les années soixante-dix je travaillais chez Renault à Billancourt le creuset de la révolution à l'époque, On s'habillait mi-hippies mi-paysans du Caucase, j'avais failli perdre un sabot dans le métro coincé dans la porte du wagon.

On se réunissait beaucoup, parlait énormément, en groupe on faisait de la voile, de la randonnée. On creusait notre sillon dans les manifs entre République et Bastille en fumant des Boyard maïs ou des Celtique pour s'adoucir la gorge. Chez nous on écoutait des disques de Léo ferré la vie qu'est-ce qu'on s'en fout mon petit voyou, on pique-niquait sur notre tapis orange vif en forme de soleil.

Que reste-t-il de ce temps où tout était ciel bleu et terre promise ? Principalement des avis de décès, on retrouve quelques anciens camarades au cimetière pour l'enterrement de l'un des nôtres. Un discours bien envoyé, l'orateur disant invariablement que la mort est une injustice et qu'elle a frappé à tort sans regarder. L'un de nous tient un restaurant d'altitude à l'Alpe d'Huez un autre joue de la contrebasse dans un groupe genre frères Jacques, d'autres encore en activité militante ressassent toujours le même pathos. Si on émet quelques réserves sur la politique du Parti c'est qu'on a viré sa cuti et ne mérite que mépris. On boit un peu trop et on se sépare en attente des prochaines festivités funéraires.

Dans ces années là quand on pensait que la classe ouvrière était notre mère et qu'elle allait nous conduire au bonheur, travailler chez Renault avoir quelques responsabilités syndicales ou politiques était un formidable sésame. Sans aucune difficulté j'avais obtenu une subvention du Groupe de Recherche et d’Études Cinématographiques, un organisme du CNC destiné à aider les jeunes cinéastes. Le projet que nous leur avions soumis, nous les animateurs du groupe audio visuel, était un torchon sans queue ni tête. Notre projet tenait sur une page, une simple idée que nous nous sommes bien gardé de développer et d'approfondir : un chômeur désespéré finit par trouver la gloire artistique en collant des petites annonces de recherches d'emploi sur de grands tableaux. Le GREC donnait sa chance à des collectifs de cinéastes un concept très en vogue à l'époque nous étions forcément géniaux. Nous persuadâmes Louis Daquin, directeur de l'IHDEC de nous prêter du matériel et deux étudiants pour nous épauler en la personne de Arthur Jofé (le futur réalisateur de Harem avec Nastasia Kinski) et Emilio Pacull un fils de réfugié chilien encore un statut qui ouvrait toutes les portes.

Le résultat filmique de l'entreprise fut un fiasco total, notre incurie ayant largement été récompensée.

Miranda avait été la seule convaincue qu'il aurait fallu rudement s'atteler à la chariote d'un scénario détaillé et bien nourri sans cesse remis sur le métier. Elle ne put nous convaincre, nous pensions qu'elle en était restée au cinéma d'avant guerre.

Nous avions pris l'habitude de jouer, de faire semblant. Toutes les portes s'ouvraient devant nous, c'était bien la preuve que nous étions le sel de la terre. Notre ascension devait être irréversible et éternelle. Funeste épidémie ! Une décennie plus tard ce furent les écologistes qui succombèrent à ce grand mal.

Miranda est toujours en activité, elle est producteur délégué dans le cinoche. Je n'ai jamais compris en quoi consiste le job. Elle passe des heures au téléphone en hurlant, elle part une semaine revient repart, fume des moitiés de cigarettes, jette le restant un peu partout sauf dans les cendriers.

Ma vie est comme cette femme croisée dans la rue, je la vois de loin, elle est immobile. Est-ce bien un être humain et non un alignement de poteaux ? Je suis maintenant assez proche pour dissiper le doute, il s'agit bien d'une femme chaudement vêtue avec un foulard. A-t-elle été transformée en statut comme la gonzesse dans la bible, Loth je crois mais je suis pas sûr, vous n'aurez qu'à regarder dans wikipedia. Je suis à sa hauteur son immobilité est parfaite. A un mètre d'elle je m'aperçois cependant que son index bouge, uniquement son index qui tapote sur son smartphone. Dans quelques centaines d'années les humains seront seulement capable d'agiter leur index, tout le reste sera un magma inerte et informe. Je suis en avance sur ce coup là, chez moi rien ne bouge mon cerveau est vitrifié et le corps aussi.

Miranda est furieuse un type n'arrête pas de lui pourrir la vie, un jeune réalisateur, Jean Lumière qui tourne son premier film et qui ne respecte en rien le script. Tout le monde n'est pas Godard. Ce con va se planter et c'est moi qui vais en prendre plein la poire. C'est pas un problème, je vais le tuer, tu entends Miranda dans une semaine il retournera dans le néant de l'histoire du cinéma. Elle me regarde incrédule, si tout pouvait être aussi simple,... allons déjeuner au bistrot Sans Nom de la place de la Réunion faut que je décompresse. Miranda est une machine à vapeur faut pas que les soupapes se bloquent. La place de la réunion célèbre le rattachement des deux villages de Charonnes à Paris autour des années 1860, pour toutes précisions wikpedia ne manquera pas de vous renseignez. Le bistrot Sans Nom, c'est pas vraiment son nom puisqu'il n'a pas de nom, est peuplé de gens cool et baba qui en général on un ordinateur devant eux et semblent heureux d'échanger avec d'invisibles correspondants. Les jours de marché c'est encore plus animé, il est difficile d'accéder au bar pour boire son café à un euro. Quoiqu'il en soit on mange pas mal et pas cher si on ne mange pas grand chose et si on boit de l'eau. Je demande à Miranda les coordonnées du réalisateur qui la rend si bougonne. Viens avec moi demain sur le tournage, tu verras l'asticot, essaie de savoir ce qu'il trame, il veut plus me parler, le producteur est son beau père je suis coincée. Bon ce qui est dit n dit.

«  L'empreinte vocale de l'homme ce n'est pas la parole ni le cri, ni les beuglements divers mais c'est le rire. Voilà le vrai sujet de mon film, toutes les sortes de rires. Comparer les diverses manifestations vocales de tous les êtres vivants qu'ils volent rampent ou nagent » l'homme en face de moi est pausé, sympa, clair dans ses explications, il est tout sauf l'olibrius que m'a décrit Miranda. «  Certes l'idée me paraît originale et passionnante, mais Miranda m'a fait lire le scénario de votre film, on pourrait le classer dans les films qu'on appelle choral, pleins d'acteurs célèbres invités à un repas d'anniversaire et tout tourne à la catastrophe. Or il semble que vous ne filmez que des animaux du zoo de Vincennes et des mouvements de foule, ne croyez vous pas normal qu'elle s'interroge ? »

« L'artiste est libre » , sur ce court plaidoyer il me tourne les talons et va boire un café. Je ne peux m'empêcher de trouver le type sincère, il se dégage de sa personne une grande force...

Je fais un contre-rendu à Miranda de notre conversation :  C'est encore pire que je le croyais. Ce type nous a chaudement été recommandé par Tavernier et le patron de la Femis, je crois qu'il se sont foutus de notre gueule. De deux choses l'une : ou ils nous ont pris pour des imbéciles ou ils nous ont pris pour des idiots. A moins que ce type soit le nouveau Passolini avec un zeste des frères Taviani question campagne, dans ce cas ils vous on fait un merveilleux cadeau. Mes fesses, conclut ma compagne prompte à résumer une situation au plus juste.

Edvard Munch a fait pousser un cri muet à ses cinq célèbres tableaux, c'est maintenant le temps des rires sonores : dis moi comment tu ris je te dirais comment tu pleures. Ce film sur les rires me plaît bien je crois que je pourrais éclairer la lanterne de Jean Lumière, un film qui parlent du rire n'est pas un film comique comme le rire de Bergson n'est pas une formidable poilade. Le rire est l'empreinte vocale d'un quidam encore mieux que ses empreintes digitales, l'ADN. Je vais proposer à Jean Lumières un feu d'artifices des rires.

J'ai une idée dis-je au metteur en scène qui va à la fois renforcer votre projet et vous concilier les bonnes grâces de Miranda. Revenez au scénario original le fameux film choral avec vos sept acteurs bankebal, et remplacer les dialogues par des rires. Que chacun s'exprime en rigolant. Ils ont tous des rires très différents je suppose. Magnifique ! hurle Jean Lumière.

Ce qui fut dit fut fait, les acteurs d'abord surpris acceptèrent, leur cachet était fort raisonnable et leur assurait un an d'entretien de leur villa à Los Angeles. Dani Boom, Jean Dujardin Omar Si et les autres s'en donnèrent à cœur joie ou plutôt à gorges déployées. Le film fut rapidement bouclé et les comédiens retournèrent dare dare en Californie pour dépenser l'argent que les gogos français leur balançait à tout va.

Le film fut un formidable échec d'abord attiré par l'impressionnant casting le public se pressa aux portes des cinoches, mais bien vite, le bouche à oreille fonctionnant à toute vitesse, les salles se vidèrent et le film fut retiré dès la première semaine. Quelle rigolade.

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